L’été circulaire
de Marion Brunet

Ce roman met en scène deux frangines aussi proches qu’elles sont différentes, Jo et Céline, 15 et 16 ans. Comme souvent, les personnages dessinent le milieu et c’est celui-ci qui prend le saisissant relief d’une friche sur ruines. Dans cette société raciste et déstructurée, il n’existe plus aucun repère pour étayer des populations dépassées, en repli, haineuses, inconséquentes et brutales. Tout ce qui passe à travers ces individus inconscients de ce qui les anime pourrait les distinguer entre : vaincu, touché, se battant encore. Les parents trop jeunes de la trop jeune fille enceinte, Céline, ne savent ni vivre ni se révolter. Ne reste de palpable, en un recommencement circulaire qui reproduit toujours les mêmes trajets, que cette gloire de la jeunesse qui est celle qu’on a quand on n’a rien d’autre. Elle dure le temps d’un soupir avant que les mâchoires du sort ordinaire se referment. C’est à ce stade périlleux que nous trouvons les deux adolescentes, dans les dents pas encore serrées de l’engrenage. L’une est belle et l’autre s’en fout de l’être. Elles font bloc contre la connerie de leurs parents, mais aussi contre toutes les saloperies semées comme des chausse-trappes autour d’elles. Elles ont toutes deux une forme de grâce qui les tient hors de la routine minable, peut-être de s’avoir l’une l’autre.

Le secret est un ressort essentiel de cette narration. L’étanchéité des bulles d’existence s’y installe, qu’il s’agisse d’amour clandestin ou de meurtre sordide, sans rider plus que ça la surface du quotidien. Tout le monde finit, malgré quelques révoltes, par s’accommoder du mystère et des réponses qui ne seront pas données. Ainsi va la vie, borgne et brumeuse, dans les ombres croisées des choses inavouables et des aveux impossibles. Sous le soleil radieux du sud stagne un relent permanent de pourriture, de non-dit, et la haine finit par tout baigner dans sa teinte particulière, radieuse, en toile de fond, au point qu’on l’oublie.

« …Manuel lève la tête et tend son regard vers les murs. Endetté jusqu’au cou mais propriétaire de sa maison en carton-pâte, de sa maison au crépi rose dans le lotissement social construit par une mairie vaguement socialiste, dans les années 80. Seulement, il doit encore tellement de fric à son beau-père que c’est pas vraiment comme si elle était à lui. C’est plutôt comme si elle était à sa femme, la maison. Quand il y pense un peu trop, il a l’impression qu’on lui a coupé les couilles à la faucille. Et maintenant sa fille, comme s’il était incapable de la surveiller… »

Ce roman pourrait être désespérant, il ne l’est pas. La pugnacité, la rage des deux adolescentes, en friche mais droites et sans concession, les distingue de leur père vaincu comme de leur mère aigrie, ainsi que de tous les autres personnages. Ce sont les vraies géantes de ce livre. Leur loyauté dépasse l’imbécillité du sort. Elles ne trahissent ni ne se trahissent. On peut penser, en refermant le livre, que malgré l’inertie du sort Céline ne sera pas sa mère parce qu’elle a quelque chose en plus qui est le courage, et que Jo a vu s’ouvrir quelques fenêtres dont elle n’est pas dupe, le théâtre, l’Espagne de son grand’père, mais qu’elle ne laissera pas se refermer, et que peut-être elle ne les gardera pas pour elle.

Ce roman est droit lui aussi, sans jugement quoiqu’il ait la dent dure. Il ne néglige aucun de ses personnages. Le style est coloré et vif, lâché mais riche, moins carré qu’il n’y peut paraître, d’une brutalité pleine de nuances. Intelligent.

Lonnie

L’été circulaire de Marion Brunet, Albin Michel

Partout-photo-portable © Gina Cubeles 2019