Si vous avez un jour aimé Almodovar

Si vous avez, un jour, aimé Almodovar, si vous avez été le spectateur conquis d’un de ses films, même d’un seul, même il y a longtemps, ne laissez pas passer Douleur et gloire.

Douleur et gloire est sans doute le film le plus sincère qu’Almodovar ait réalisé depuis ses tous premiers longs-métrages. C’est un film doux, sans pathos superfétatoire, sans aucun des recours habituels du réalisateur, où il se met en scène sous la forme d’Antonio Banderas, l’égérie de sa jeunesse, l’acteur fétiche de ses premiers films, qui joue sans fausse note le rôle de celui qu’il connaît si bien. Le film montre sans fard, mais non sans humour, le rapport du réalisateur à son âge, à son œuvre, à son corps vieillissant, à ses acteurs, à ses amours, et à sa mère aussi, dont il peut enfin dire qu’elle aurait souhaité autre chose, un autre genre d’enfant, un fils qui ne soit pas un perpétuel objet de honte et de scandale auprès de ses voisines qui se plaignaient, à raison, que Pedro les utilise.

Almodovar a pratiquement dédié toute son œuvre à cette mère qui ne voulait pas qu’il parle d’elle, idéalisant sa figure dans de nombreux films, et dans ce dernier même où, maintenant qu’elle est morte, elle peut être incarnée directement, jeune par Penelope Cruz et âgée par Julietta Serrano. Il l’a fait jouer, lui a écrit et tourné d’innombrables déclarations d’amour, a donné des interviews avec elle, affichant toujours une entente parfaite, donnant à voir une mère ouverte et bienveillante, éternelle parangon d’amour et de compréhension pour son déviant de fils.

Pedro Almodovar est un homme courageux, on le sait depuis longtemps. Il l’a montré dès le départ. Si être transgenre ou homosexuel dans le milieu protégé de la Movida des années 1980 ne posait pas de problème, ce n’était plus le cas dès qu’on sortait de ses limites. L’Espagne des années 1970-80 cassait facilement du travelo et du pédé, et Banderas a été plus d’une fois en mauvaise posture pour avoir joué dans ses films. En 2020, alors qu’augmentent chaque année en France les agressions anti-LGBT, il importe de ne pas l’oublier ; ses films ont joué un rôle majeur dans la normalisation de la transidentité et de l’homosexualité dans le monde.

Dans Douleur et gloire, le réalisateur fait une fois encore preuve de courage en se mettant à nu, contant ses premiers émois amoureux, ses angoisses et ses doutes, entamant l’image qu’il avait toujours voulu donner de sa mère dans une émouvante séquence excellemment interprétée  par Banderas et Serrano, et exprimant ses regrets de ne pas avoir été plus présent pour elle à la fin de sa vie. Il le fait avec délicatesse, sans emphase et sans renoncement non plus.

Alors si vous avez un jour aimé Almodovar, avec, ou en dépit de, ses excès, sa mégalomanie, ses répétitions, ses déclarations à l’emporte-pièce et ses maladresses, vous ne pourrez qu’aimer cet autoportrait nostalgique et passionné, romantique, tendre et névrosé, magistral comme le réalisateur lui-même.

Adèle O’Longh