Simone en aparté à Avignon

Simone en aparté, seul en scène Avignon festival off

« Je ne crois pas que je sois une enfant difficile, mais insolente. C’est vrai… plutôt le goût de la contestation, l’esprit frondeur. Je me souviens, quelques jours je crois avant la rentrée scolaire… septembre 41, sur le balcon avec Claude ma cousine, André mon cousin et Denise ma sœur aînée, nous chantons L’internationale… j’ai 14 ans ». Quand on écoute ces mots on n’imagine pas les attribuer à Simone Weil, la ministre de la loi du même nom qui fut la première présidente du Parlement européen.

Elle nous reçoit chez elle sur la scène du théâtre des 3 Soleils pour nous parler simplement comme à des amis, elle dont les confidences furent si rares. Ça pourrait être dans le jardin de sa maison de famille à Cambremer en Normandie ou dans sa chambre, elle affectionnait tellement le lit pour préparer ses examens, travailler, recevoir des amies ou rire avec ses enfants.

L’espace est indéfini, des murs de lattes verticales laissent passer la silhouette de la comédienne, les jeux de lumières assombrissent ou éclairent certaines zones du plateau comme un dessin de la mémoire intime ; le seul décor est un élément central, immense transat ou vague, l’actrice s’y réfugie lorsqu’elle se rappelle son enfance si heureuse, aimante. Une évocation appelle l’autre, entre-temps de grands moments de silence. C’est de notre histoire dont il est question et les spectateurs apprécient de pouvoir fermer les yeux parfois, revoir les visages des êtres chers, l’odeur du jasmin, le sourire d’une mère, la douleur des adieux ou les pleurs d’un enfant. Le spectacle comporte peut de discours publics, surtout des réflexions, des convictions européennes, féministes que Simone souhaitait transmettre aux jeunes générations, un formidable art de la joie aussi. Optimiste elle le fut, le revendique, sans édulcorer son expérience concentrationnaire.

Arnaud Aubert l’auteur du texte a effectué une véritable enquête à partir de notes, de recueil d’entretiens et de la biographie de Simone. Son écriture est limpide, délicate, extrêmement juste ; il mériterait d’être publié pour sa qualité littéraire mais aussi pour la finesse du portrait qu’il dessine.

Cette démarche aurait été vaine s’il n’avait pas trouvé la comédienne idoine, Sophie Caritté, capable d’incarner sans imiter avec une présence intense, un port de reine sur la scène, précision des gestes, rigueur dans l’interprétation. Il faut la voir enlever ses épingles à cheveux pour dénouer son chignon ou le renouer selon les circonstances. Cette comédienne d’une grande classe peut en un instant passer de la révolte à la douceur. Le moment le plus fort est peut-être celui où elle évoque avec beaucoup de pudeur les derniers instants avec sa mère « elle était dans un état physique abominable ; elle conservait cet air de dignité extraordinaire, et aux pires moments, le courage qu’elle a su donner à des jeunes, qui n’en n’avait plus et qui pourtant étaient dans un meilleur état qu’elle, à la fois le courage et l’espoir, de ne jamais, jamais désespérer ».

Un beau spectacle, ô combien nécessaire dans un contexte de résurgence de l’antisémitisme, de remise en cause des droits et de la démocratie.

Sylvie Boursier

Photo © Kevin Louviot

Simone en aparté, texte et mise en scène d’Arnaud Aubert
Du 7 au 30 juillet 2022 à 20h10, relâche les 12, 19, 26 juillet, festival off Avignon, les 3 soleils, festival off Avignon