Cendrillon
de Joël Pommerat

A peine sortie de l’enfance, une jeune fille s’est tenue au chevet de sa mère gravement malade. Quelques mots prononcés à mi-voix par la mourante et peut-être mal entendus par sa fille et voilà celle-ci liée à la mort, tenue à un rôle, penser à sa mère jusqu’à la fin des temps, sans quoi celle-ci mourra pour de bon. La petite s’inflige les pires fardeaux pour se punir d’oublis ponctuels, elle nettoie tout ce qu’elle peut nettoyer, elle range tout ce qu’elle peut ranger, elle devient la bonne à tout faire de la maisonnée, assouvissant une pulsion masochiste qui consiste à faire tout ce que sa mère faisait et même au-delà. C’est à ce prix qu’elle ne l’oubliera pas, sinon sa mère mourra une seconde fois.

« C’est peut-être parce que comme enfant j’aurais aimé qu’on me parle de la mort, déclare l’auteur » que le projet de ce spectacle est né. Les enfants, infans, ceux qui ne parlent pas, sont victimes des mots des adultes « elle est morte ta mère, lui assène sa belle-mère, on ne parle plus de ta mère ici », tout ça ce sont des histoires de gosses pense le père de Sandra, la cendrillon de ce conte moderne, lui qui veut refaire sa vie comme on dit. Il faut tourner la page, aller de l’avant, arrêter les rêvasseries et entrer dans la réalité ; mais justement le passé ne passe pas. Dans les rêves, véhicule de notre mémoire profonde, le temps n’existe pas, les malentendus ont la vie dure. Comment parler de la mort aux enfants ? que veut dire « le travail de deuil », est-il possible ? Dans cette histoire revisitée par Joël Pommerat tout le monde ment, le jeune prince du conte a lui aussi perdu sa mère très jeune. Son père, le roi, entretient l’illusion du retour de son épouse auprès de son fils et lui promet un appel téléphonique qui, bien évidemment n’arrive jamais. Voilà comment la vie de ces deux jeunes gens s’est arrêtée.

L’auteur utilise les archétypes du conte originel, le prince, la fée-marraine, la belle-mère marâtre, les deux sœurs maltraitantes « jolies et blanches de visage mais laides et noires de cœur ». Mais chez Pommerat, pas de carrosse, ni citrouille, ni pantoufle de verre. Le message se centre sur la résilience, le difficile chemin qui nous fait quitter l’enfance, nous défaire des liens ancestraux pour aller vers notre propre liberté. Dans La Cendrillon de Joël Pommerat, Sandra prononce les mots salvateurs à l’attention du jeune prince « dans sa tête, on sait très bien que ce sont des histoires, mais on se les raconte quand même… en fait, ta mère est morte, voilà ». A la fin ils ne se marient pas et n’ont pas beaucoup d’enfants mais ces 2 orphelins de mère, incapables de couper le cordon pour vivre d’autres relations, se soignent mutuellement. Cendrillon célèbre ici le pouvoir du verbe qui guérit, notre capacité à rompre des liens toxiques. Sandra est une jeune fille en deuil, plutôt disgracieuse, mais pourvue d’un époustouflant sens de la répartie et d’un désir de vivre communicatif, l’inverse du « syndrome de Cendrillon » qui devrait conduire chacune à trouver « chaussure à son pied ». L’épilogue du récit fait résonner les véritables mots de la mère : « ma chérie, pour te donner du courage, pense à moi…mais n’oublie jamais, si tu penses à moi fais le toujours avec le sourire ».

Sylvie Boursier

Photo © Cici Oisson

Cendrillon, création théâtrale de Joël Pommerat d’après le mythe de Cendrillon, éditions Actes Sud, 2013.