L’Avare
de Jérôme Deschamps

L’Avare, création de Jérôme Deschamps, au théâtre des Abbesses

Harpagon, Jérôme Deschamps en personne, trotte menue entre rat des champs et poule d’eau lipeuse. On retrouve dans son Avare l’engouement du comédien pour les petits, le sans-grade comme une réminiscence des Petits pas avec la troupe des Deschiens — qui génèrent l’hostilité du monde entier, y compris d’un chien invisible qui ne cesse d’aboyer en coulisses. Roublard, mesquin, poussiéreux, petit comptable obscur, il ne tire pas son personnage vers la folie. Tout en rondeur, costume noir élimé de clerc de notaire façon Bouvard et Pécuchet qu’il a mis en scène et interprété, le calot vissé sur le front, il manipule comme un arracheur de dents. Marianne mugit d’horreur à sa vue, c’est tout dire…

La troupe s’organise autour du boss, on l’attend, on l’espère, tant il restitue les mille nuances d’un personnage génial et d’un texte qui n’a pas pris une ride. L’argent est roi, sanctifié sur une scène quasi déserte, promise aux jeux d’une lumière sableuse bleutée. La scénographie privilégie un jeu face public qui ne cherche pas à en rajouter par rapport au véritable patron, Jean Baptiste Poquelin. Les comédiens ont une diction sans faille, parmi lesquels Stanislas Roquette, formidable soldat de La rue, mise en scène par Marcel Bozonnet. Le public plébiscite Lorella Gravotta dans le rôle de l’entremetteuse Frosine.

Noire et même « outre noire » cette comédie sur le fond, qui montre une société violente strictement régie par des rapports de prédation virant à la paranoïa. Les fils souhaitent la mort de leurs géniteurs et l’inverse, Harpagon, le maître de maison, silhouette bedonnante à la Daumier, veut épouser une jouvencelle et en faire un objet sexuel toute sa vie durant comme dans le mariage forcé. La pièce invite pourtant la jeune génération à l’insoumission, à tenir tête aux aînés pour arriver à ses fins, fusse par la ruse et le négoce.

Alors oui, pas de mise en scène révolutionnaire, quelques facilités farcesques par moments, mais des répliques qui claquent, des acteurs qui ont le sens de la rupture, du relief, du rythme et au final un bel engagement.

Sylvie Boursier

Photo © Juliette Parisot

L’Avare de Molière, mise en scène de Jérôme Deschamps

Tournée 2023 : à Chartres, du 23 juin au 19 Août, aux Fêtes nocturnes du château de Grignan, du 28 au 31 décembre à Caen.